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2 mars 2020

Dessins-modèles et marques 3D dans le textile

L’industrie du textile bénéficie de nombreux outils législatifs, lui permettant de faire reconnaitre et de défendre les investissements qu’elle a réalisés pour ses créations textiles. Parmi ces-derniers, le droit des marques tridimensionnelles et celui des dessins et modèles constituent, en Italie, des instruments privilégiés de protection, comme le souligne la jurisprudence récente.

Forte d’une tradition de protection des dessins et modèles déjà largement assise, la jurisprudence italienne a, ces dernières années, renforcé encore davantage la protection leur étant attribuée, dans le domaine textile plus particulièrement. Le Tribunal de Milan a, tout récemment, donné raison à Emilio Pucci au sujet de la reprise d’imprimés sur tissus, enregistrés à titre de dessins et modèles, par une société concurrente (Trib. de Milan, ord. 30 déc. 2019). Le juge note que la circonstance, selon laquelle il serait précisé, sur une étiquette, qu’il s’agit « d’imprimés d’inspiration Pucci », ne saurait éluder le caractère illicite d’un tel comportement parasitaire.

De manière générale, l’appréciation par le juge italien du caractère individuel du dessin-modèle et, notamment, de l’originalité qui pousse l’acheteur à préférer le produit incorporant le dessin-modèle, se place dans la droite lignée de celle développée sous l’égide du Tribunal de l’Union européenne (TUE) il y a déjà quelques années (10 sept. 2015 T-525/13 et T-526/13 H&M c. OHMI). Celle-ci s’articule autour de quatre étapes consistant successivement à : • déterminer le secteur auquel le modèle est destiné, • qualifier l’utilisateur averti ainsi que son niveau d’attention, • évaluer le degré de liberté du créateur, puis établir, si l’impression d’ensemble est, ou non, similaire. A ce titre, la jurisprudence italienne tient compte de l’existence d’une empreinte particulière du créateur (Trib. de Milan, 16 déc. 2016).

Les juges italiens optent ainsi pour une approche pragmatique visant, notamment, à intégrer dans leur raisonnement en ce qui concerne les créations textiles, les spécificités du marché textile. Parmi cellesci, l’engorgement que connaît le milieu en matière de dessins et modèles, est reconnu comme un facteur important par la jurisprudence. La Cour d’appel de Florence s’est récemment prononcée en ce sens, dans un litige concernant, entre autres, un tissu tressé sur des cols de chemises, en application du col dit « coréen » (CA, Florence, 11 nov. 2019). Rejetant la contrefaçon, la Cour a estimé que « dans un marché aussi encombré », les exigences de nouveauté et d’individualisation étaient démontrées dès lors qu’il existait des variations même mineures. La Cour d’appel de Milan avait, plus tôt, affirmé le même principe, dans un litige opposant Max Mara à Liu Jo, au sujet de doudounes intégrant certains éléments modulables (CA, Milan, 05 mai 2017).

Il est à souligner que la spécificité italienne repose sur l’adoption du critère du « Market approach » qui consiste à requérir que la forme protégée atteigne un niveau d’individualité, tel qu’en plus d’attirer le consommateur, elle puisse en constituer un motif de préférence à ses yeux. L’effort créatif attendu, qui ne doit pas se confondre avec la condition de créativité imposée par le droit d’auteur, se rapproche alors davantage de la condition de distinctivité prévalant en droit des marques. Cette approche a été confirmée en matière textile, par une décision rendue par le Tribunal de Milan, au sujet d’un modèle communautaire non enregistré relatif à un pantalon de la marque Freddy, fabriqué à partir d’un tissu jersey, visant à garantir confort et maintien, par le biais de solutions techniques par ailleurs brevetées (Trib. de Milan, 2 mars 2017). Cette approche a conduit le juge à reconnaitre un caractère individuel aux modèles de pantalons, et à prononcer la contrefaçon, en raison de la combinaison spécifique d’un ensemble d’éléments, propres à constituer un motif de préférence d’achat.

Il est vrai que les dessins et modèles non enregistrés sont particulièrement utiles pour l’industrie du textile. En ce sens, la pratique italienne leur confère une protection importante, à compter de la date certaine de leur divulgation dans les milieux spécialisés de l’Union européenne. Dans ce contexte, le juge italien se montre souple quant à la preuve de ladite divulgation, admettant celle-ci à l’occasion d’une foire internationale du textile par exemple (Trib. de Milan, 17 févr. 2016). Cette position prétorienne se différencie nettement de la pratique française, qui exige essentiellement des preuves de commercialisations, et non de simples publications. Par ailleurs, précisément sur la divulgation, la CJUE a noté qu’un dessin ou modèle antérieur incorporé dans un produit différent de celui concerné est pertinent aux fins de l’appréciation de la nouveauté (CJUE, 21 sept. 2017).

La portée de la protection offerte à ces modèles est large : la contrefaçon est admise, en cas d’imitation non nécessairement servile. Dans une affaire opposant Diesel à Zara, le Tribunal de Milan a admis la protection en présence de copies non serviles (Trib. de Milan, 04 mars 2016). En effet, les modèles de jeans comprenaient, en l’espèce, quelques différences au niveau des poches. La protection conférée aux dessins et modèles non enregistrés, qui demeure certes temporaire, puisqu’elle n’est conférée que pour trois ans, se révèle néanmoins particulièrement adaptée aux créations saisonnières, courantes pour les articles de textile et dans le secteur de la mode et bien garantie par les Tribunaux Italiens.

Enfin, il convient de noter que la protection conférée peut se trouver encore renforcée en cas de cumul de protection avec le droit d’auteur, comme ce fut par exemple le cas dans l’affaire « Moon Boots », où le juge italien a reconnu toute la spécificité de telles chaussures « en tissus de cuir avec rembourrage en fourrure » (Trib. de Milan, 12 juill. 2016). Néanmoins, ce cumul ne saurait être automatique. C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de Justice de l’Union européenne, le 12 septembre 2019, à la suite d’un litige entre G-Star et Cofemel, deux grands industriels du textile, à l’occasion duquel la CJUE s’est penchée sur la question de savoir si un objet, en l’espèce un vêtement, pouvait être automatiquement protégé par le droit d’auteur parce qu’il remplissait les critères d’octroi du régime d’application du dessin et modèle. La Cour a établi une distinction nette entre les deux régimes, rappelant que ces deux fondements sont cumulables mais pas exclusifs l’un de l’autre : l’originalité ne résulte pas des critères « d’effet visuel propre et notable » d’un vêtement (CJUE, 12. Sept. 2019, C‑683/17).

La marque tridimensionnelle constitue, parallèlement aux dessins et modèles, un outil de protection alternatif et/ou cumulatif. A cet égard, dans le cas d'une marque de forme, il est nécessaire de vérifier, en particulier, l'existence du caractère distinctif de la forme du modèle et la possibilité d'identifier les caractéristiques de cette forme également dans les modèles ultérieurs soumis à enregistrement. Cette correspondance ne peut, en aucun cas, être considérée comme existant sur la base des éléments individuels du modèle, mais de leur combinaison.

En matière de créations textiles, en particulier, le Tribunal de Milan a réaffirmé les conditions de la protection à ce type de marque dans l’affaire Gucci / Guess (Trib. de Milan, 2 mai 2013) : « une forme - qu'elle soit tridimensionnelle ou bidimensionnelle, comme par exemple le dessin d'un tissu - ne peut être enregistrée comme marque que si et dans la mesure où elle remplit essentiellement ou principalement la fonction typique de la marque, et remplit donc une fonction distinctive, plutôt qu'une fonction esthétique ou ornementale », considérant à cet effet que « le jugement sur la prévalence de la fonction distinctive concrètement remplie par la forme est décisif ». Le juge italien avait, à cette occasion, reconnu la prévalence de la fonction distinctive sur celle purement esthétique du motif double « G », évoquant l’image de la maison florentine.

Il convient d’être vigilant sur le caractère potentiellement fonctionnel de la marque de forme, qui conduirait à la considérer comme nulle. La Cour de Justice s’est prononcée à l’occasion d’un litige portant sur la contrefaçon d’une marque figurative « Manhattan », représentant de manière stylisée

une série de cartes de la presqu’île, apposée sur des tissus d’ameublement ou du papier (CJUE, 14mars 2019, C-21/18, Textilis et Keskin/SvensktTenn). Le défendeur arguait que la marque était nulle, au motif qu’elle était de nature à donner une valeur substantielle aux produits d’ameublement en cause. La Cour y affirme que le motif bidimensionnel ne saurait se confondre avec une forme et ne saurait donc être nul.

En conclusion, la jurisprudence italienne offre très largement aux créateurs de mode et dans le domaine du textile en général, un régime fortement protecteur par le biais des marques tridimensionnelles de forme et des dessins et modèles. A ce propos, il conviendra également de suivre de près l’orientation de la jurisprudence italienne, à la suite de la transposition de la directive (UE) 2015/2436 par le décret législatif n° 15/2019, ayant ouvert la voie à de nouveaux types de marques, susceptibles d’offrir un plus large éventail de droits à l’industrie du textile.

Contact : Paola Gelato, Avocat au Barreau de Turin Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle Associée du cabinet Studio Legale Jacobacci & Associati - Courriel : pgelato@jacobacci-law.com

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