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29 octobre 2020

La protection du droit d’auteur en Italie après Cofemel – les juges italiens à l’épreuve

La protection du droit d’auteur en Italie après Cofemel – les juges italiens à l’épreuve

L’arrêt Cofemel de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 12.9.2019 n. C-683/17 établit une notion de création intellectuelle et d’œuvre qui pourrait révolutionner l’interprétation du droit d’auteur et son application en Europe concernant les œuvres d’art appliqué. Les articles et créations textiles, motifs, broderies, sont directement concernées. Cette juridiction ouvre la voie à des conditions moins sévères d’application du droit d’auteur, en particulier en Italie et en Allemagne.
Pour qu’une création soit considérée comme une œuvre, au sens de la Directive Européenne sur le droit d’auteur 2001/29, il est nécessaire qu’elle reflète la personnalité de son auteur, manifestant ainsi le choix libre et créatif de ce dernier.
Ainsi, l’arrêt instaure la notion d’œuvre créative, qui devrait être appliquée de manière uniforme dans les Etats de l’Union Européenne, reprenant les principes dictés dans les arrêts de la Cour de Justice Painer du 1.12.2011, C-145/10 et Renckhoff du 7.8.2018, C-161/17.


La qualification d’œuvre créative est donc réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création, selon les principes énoncés dans l’arrêt Infopaq de la Cour de Justice du 16.7.2009, C-5/08.
La Directive Européenne 98/71 et le Règlement 6/2002 en matière de dessins-modèles, admettent et prévoient la possibilité de cumuler les protections par le droit des dessins et modèles et par le droit d’auteur.
En Italie, la Directive 98/71 a été transposée par le décret législatif n. 95/2001, avec la modification conséquente de l’art. 2 n. 10 de la loi italienne en matière de droit d’auteur et d’œuvres d’art appliqué.
Par conséquent, les œuvres de design peuvent aussi obtenir une protection par le droit d’auteur si elles présentent un caractère créatif et une valeur artistique.
L’interprétation de la valeur artistique, donnée par la plupart des Cours Italiennes, consiste en la reconnaissance, de la part de milieux culturels, de l’existence de caractéristiques esthétiques et artistiques, considérant également l’exposition de l’œuvre à des expositions, outre l’attribution de prix.


Néanmoins, la valeur artistique que la règlementation italienne demande, pour qu’une œuvre d’art appliquée puisse être protégée par le droit d’auteur, est une condition supplémentaire par rapport à la législation européenne.
En effet, cette condition est propre à certaines législations, comme c’est le cas en Italie ; toutefois, au cours des années, la jurisprudence italienne s’est montrée de plus en plus ouverte à protéger par le droit d’auteur certaines œuvres d’art appliqué qui présentent une création intellectuelle claire, même en l’absence de reconnaissance collective de la valeur artistique de l’œuvre.
Or, notamment après l’arrêt Cofemel, les juges italiens devront s’adapter à l’évolution de la jurisprudence européenne, qui n’exige pas qu’une œuvre ait un caractère artistique marqué pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
Les principes établis par cette décision semblent bien abaisser les conditions d’accès à la protection par le droit d’auteur, en particulier en Italie, où seulement les œuvres d’art appliqué appartenant à un niveau élevé pouvaient en jouir.
En particulier, l’arrêt Cofemel précise dans les paragraphes 29-35 que les conditions de la protection du droit d’auteur sont la créativité et la valeur expressive de l’œuvre, sans mentionner de condition supérieure de la valeur artistique, par ailleurs demandée par les juges italiens. 


Récemment, le 30.4.2020, la Cour de Cassation Italienne s’est exprimée en la matière, en faisant une première application de l’arrêt Cofemel, dans sa décision n. 8433, qui confirme la précédente décision des Tribunaux de première et deuxième instance, en partant de l’arrêt du Tribunal de Milan du 13.10.2015, dans le cas opposant Kiko à Wjcon. 
La Cour de Cassation a confirmé la reconnaissance du droit d’auteur aux éléments de décoration d’un magasin, selon les articles 2.5 et 2.10 de la loi italienne sur le droit d’auteur.
Notamment, la Cour de Cassation a déclaré qu’un travail d’architecture doit être identifiable et reconnaissable comme une création de l’auteur, étant le résultat du choix spécifique de l’auteur, dans la combinaison d’éléments différents.
En d’autres termes, selon la Cour, le travail doit pouvoir être interprété selon une « clé artistique » claire; voilà donc la première application au droit italien de l’arrêt Cofemel, qui attribue protection par le droit d’auteur à tout objet qualifié d’œuvre reflétant la personnalité de l’auteur, sans condition de valeur artistique.
Par conséquent, à présent, après l’arrêt Cofemel, la valeur artistique, constituant l’expression d’une influence culturelle, est un élément additionnel qui ne semble plus nécessaire en Italie pour attribuer aux œuvres d’art appliqué la protection par le droit d’auteur.


Au vu des principes énoncés par la Cour de Justice, il faudra suivre les développements de la jurisprudence en la matière, permettant l’application du droit d’auteur aux œuvres d’art appliqué de manière plus simple, offrant ainsi de nouvelles opportunités aux maisons de création.


On peut donc conclure que, maintenant, la condition de la valeur artistique, qui était auparavant nécessaire pour acquérir la protection de droit d’auteur en Italie, selon l’élaboration jurisprudentielle pacifique, n’est plus d’actualité et risque d’être dépassée et en contraste avec l’élaboration de la jurisprudence européenne. 
L’arrêt susmentionné de la Cour de Cassation n. 8433 du 30.4.2020 démontre cette évolution de la jurisprudence italienne, qui est parvenue à accorder protection par le droit d’auteur, au concept store d’une décoration d’un magasin, pour valoriser l’expérience d’achat et attirer le public.
Déjà avant cet important arrêt de la Cour de Cassation Italienne, la jurisprudence nationale en matière de droit d’auteur avait évolué, attribuant à des œuvres d’art appliqué une protection au titre de droit d’auteur soit de manière autonome, soit cumulée avec le droit des dessins et modèles et/ou la concurrence déloyale.
Par exemple, le Tribunal de Milan, le 12.7.2016, a émis un arrêt marquant en la matière, reconnaissant notamment le droit d’auteur aux chaussures après-ski dénommées Moon Boots, parallèlement à la protection du dessin ou modèle des chaussures en question.


Par cette décision, le Tribunal avait affirmé que ces chaussures après-ski, grâce à leur design particulier, ont transformé la conception esthétique de ce genre de souliers, devenus une véritable icône du design italien, ainsi que grâce à la valeur artistique reconnue, en vertu de leur exposition au Musée du Louvre.
Les juges, dans ce cas, ont reconnu l’impact esthétique particulier des Moon Boots dans le secteur de référence, appliquant aussi l’enseignement de la Cour de Cassation, comme exprimé dans sa décision n. 22118/2015 du 29.10.2015, selon laquelle la valeur artistique d’une œuvre doit être reconnue, sur la base du moment historique et culturel, quand elle est réalisée. 
Dans son arrêt n. 7477/2017 du 23.3.2017, la Cour de Cassation toujours, confirme la protection par le droit d’auteur des statuettes de Thun, soulignant que la reproduction en série de ce genre d’articles ne peut pas constituer une raison pour l’exclusion de la protection par le droit d’auteur. 


Par ailleurs, le Tribunal de Milan, dans un autre arrêt du 10.7.2014, avait aussi reconnu la protection par le droit d’auteur à une robe créée par la maison Fendi, symbole de sa collection printemps-été 2014, condamnant Zara pour violation du droit d’auteur de Fendi pour avoir imité le dessin de la robe Fendi sur certains t-shirts.
Or, à l’analyse de la jurisprudence des Tribunaux Italiens, on constate que ces derniers, déjà avant Cofemel, octroyaient une protection par le droit d’auteur aux œuvres d’art appliqué, reconnaissant leur caractère créatif, en présence d’une interprétation personnelle de l’œuvre de la part de l’auteur, considérant parfois aussi que la valeur artistique est déterminée par le choix personnel de l’auteur, comme le fit par exemple le Tribunal de Venise, dans son arrêt du 19.7.2007 concernant la création de bijoux.


Dans ce cas, la Cour de Venise avait reconnu la valeur artistique comme directement liée à la nature créative de l’œuvre, compte tenu également des émotions provoquées par cette œuvre.
Le Tribunal de Milan, dans sa décision du 29.3.2005, avait également reconnu que la valeur artistique de l’œuvre consistait en une suggestion, que l’artiste / créateur communique à ceux qui entrent en contact avec l’œuvre. Toutefois, cette théorie, élaborée par la jurisprudence, qui attribuait protection aux œuvres en fonction des émotions que celles-ci sont en mesure de provoquer, avait subi des critiques en raison de son caractère subjectif.
Voilà la raison pour laquelle s’est développée une théorie plus objective de la valeur artistique, portant sur la reconnaissance de la valeur artistique de la part du public, liée à une évaluation sociale (ainsi, par exemple, Tribunal de Milan 22.4.2010, en Gadi 2011, page 313 et Tribunal de Bologne, 30.8.2011, en GADI 2012, page 463 et suivantes).


En outre, plus récemment, les juges italiens ont reconnu la protection du droit d’auteur à une œuvre, ayant pris en compte la représentation intellectuelle et originale de l’œuvre, considérée dans son ensemble, y compris sa composition et l’organisation originale de ces éléments ; voir par exemple, sur ce point Cour de Cassation n. 9854/2012, Tribunal de Milan du 28.11.2017.
Au-delà de la protection par le droit d’auteur de certains objets d’art appliqué, lorsqu’ils peuvent être considérés comme des œuvres véritables, selon la notion récente de la Cour de Justice dans l’arrêt Cofemel, il est toujours possible d’invoquer une protection complémentaire, par le dessin-modèle, ou bien la concurrence déloyale.


Ce cumul, pour ce qui est de la concurrence déloyale, est possible lorsque les objets imités présentent des caractéristiques originales.
En Italie, le cumul de protection par le droit d’auteur et les règles dictées en matière de concurrence déloyale, se réalise surtout sous le profil de l’appropriation – par l’imitateur – des prérogatives d’autrui et à titre de sanction contre le parasitisme, s’agissant d’une atteinte distincte, par rapport à celle portée aux droits de propriété industrielle et intellectuelle, dont la protection est assurée par la règlementation spécifique.
Par exemple, le Tribunal de Rome a reconnu protection à des créations de bijoux par le droit d’auteur, ainsi que par les règles de la concurrence déloyale, en raison de la reprise des éléments particuliers originaux de l’œuvre (voir, à ce propos, Tribunal de Rome 8.3.2019).


En outre, le Tribunal de Milan a octroyé protection aux créations de l’industrie, non seulement par le droit d’auteur, mais aussi par la concurrence déloyale et l’appropriation indue des prérogatives d’autrui (voir, à ce propos, Tribunal de Milan 24.1.2012) ; en l’espèce, a été également reconnue une hypothèse d’exploitation de la notoriété de l’auteur et de ses œuvres.
Selon la reconstruction qui précède, on constate que l’évolution jurisprudentielle italienne, déjà avant l’arrêt Cofemel, et surtout maintenant après cette décision, va dans le sens d’une ouverture plus étendue à la protection, par le droit d’auteur, pour les œuvres d’art appliqué.
Cette évolution apparaît primordiale pour les maisons de créations, en particulier dans le domaine de la mode et des accessoires, y compris le secteur textile, car elles peuvent ainsi profiter au mieux de cette ouverture vers le droit d’auteur en Italie, afin de renforcer la protection de leurs créations.

Contact : 
Paola Gelato
Avocat au Barreau de Turin 
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
Associée du cabinet Studio Legale Jacobacci & Associati

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