Propriété intellectuelle Propriété intellectuelle
18 mars 2021

La protection du savoir-faire créatif : un rôle fondamental dans l’industrie textile

La protection du savoir-faire créatif : un rôle fondamental dans l’industrie textile

(i) Définition de savoir-faire
Dans le secteur de la mode et du textile, la protection majeure du savoir-faire représente le cœur du succès des designers et des stylistes.

La jurisprudence italienne et la doctrine, ainsi que la législation de l’Union européenne, en conformité à la Directive européenne n. 2016/943 du 8 juin 2016, dûment transposée en Italie, font une distinction entre le savoir-faire industriel portant, notamment, sur les connaissances techniques applicables à un process de fabrication et reconnu sous la notion du savoir-faire technologique et, le savoir-faire commercial, qui fait référence aux connaissances et expériences relatives à une gestion efficace d’entreprise

La combinaison de ces savoir-faire constituent le savoir-faire stratégique d'une entreprise.

Toutefois, afin que l'entreprise puisse l'utiliser efficacement et surtout le faire valoir, le savoir-faire nécessite une connaissance adéquate des instruments juridiques et la protection du secret des affaires. Le savoir-faire peut notamment être défini comme un ensemble de connaissances théoriques, techniques, pratiques et d’expériences conférant un avantage économique aux entreprises qui le possèdent. 

Alors que la protection du savoir-faire dans les différents pays de l’Union européenne n’était pas harmonisée et, dans la plupart des cas, insuffisante, offrant un faible niveau de protection, la législation et la jurisprudence italienne étant, au contraire, à l’avant-garde, la Directive européenne 943/2016 a établi une définition commune du secret commercial, fixant des objectifs aux Etats-membres, dans le but d’harmoniser les standards de protection du savoir-faire.

C’est donc cette Directive qui a introduit la notion de secret commercial (article 1 de la Directive) identifiant cette notion comme le patrimoine des informations commerciales à caractère confidentiel.
En outre, considérant l’article 24 de la Directive européenne qui fait référence à la protection des informations confidentielles, dans le cadre d’une procédure judiciaire, soulignant la nécessité de protéger la confidentialité des données, limite l’accès aux informations sensibles exclusivement au juge et aux avocats, sans que les parties puissent accéder à la connaissance de données stratégiques d’une entreprise concurrente.

(ii) La protection du savoir-faire – le cadre normatif
En Italie, la protection des informations confidentielles est réglée par les articles 98 et 99 du Code de Propriété Industrielle, qui prévoient l’interdiction de révéler aux tiers, d’acquérir et d’utiliser le secret d’affaires, assurant une protection à l’encontre de tout tiers, du caractère confidentiel des données.

Les procédures, en cas de violation d’un secret d’affaires, consistent à demander au juge compétent un ordre de description des documents contenant les informations confidentielles et/ou un ordre de saisie et d’interdiction de toute utilisation des secrets d’affaires pour une durée illimitée de temps.

Ces mesures comportent des astreintes, qui concernent également l’ordre de retrait du commerce de tout produit incorporant un secret commercial, la destruction et l’assignation en propriété des produits et des documents secrets, avec l’ordre de publication des Ordonnances et le dédommagement du préjudice subi.

Au-delà de la protection typique dictée par le Code Italien de Propriété Industrielle, en ligne avec les dispositions de la Directive européenne, la protection contre l’utilisation abusive d’informations confidentielles et de secrets des affaires est également assurée par les règles édictées en matière de concurrence déloyale et, notamment, par l’article 2598 du Code Civil, aux termes duquel l’usage d’informations confidentielles d’autrui, dans l’exercice d’une activité commerciale, sans le consentement du titulaire, constitue une activité de concurrence déloyale.

De plus, une protection pénale est également assurée par les articles 621 et 623 du Code Pénal, en ce qui concerne le secret industriel/scientifique et la divulgation des documents confidentiels. Ces règles punissent les responsables de la divulgation et de l’utilisation, sans consentement, de secrets des affaires au niveau scientifique et industriel, avec une sanction de prison ferme allant jusqu’à 2 à 3 ans.
Enfin, pour compléter le cadre normatif,  l’article 2105 du Code Civil Italien protège l’employeur de toute activité concurrentielle illicite réalisée par l’employé, ainsi que de la divulgation – de la part de ce dernier – de toute information confidentielle à des tiers.

(iii) Les mesures de protection techniques et contractuelles
Les entreprises doivent garder confidentielles les informations en utilisant des outils informatiques et le marquage des documents, empêchant l’accès à la documentation et aux informations confidentielles aux sujets non-autorisés. Elles doivent notamment limiter l’accès à ces documents aux personnes directement concernées par les informations confidentielles qu’ils contiennent pour le bon déroulement de leur activité professionnelle.

L’article 3 de la Directive européenne 943/2016, fait référence à la nécessité d’établir une coopération transfrontalière pour le développement dynamique de l’entreprise, avec la limitation de l’accès aux connaissances secrètes, de manière à protéger les avantages concurrentiels dont peuvent se prévaloir les entrepreneurs, qui sont titulaires de savoir-faire, dans un certain domaine, protégeant ainsi les investissements de ces entreprises (voir, à ce propos, les articles 1 et 3 de la Directive).

Concernant l’accès limité aux secrets d’affaires dans une entreprise, la jurisprudence ne demande pas l’inaccessibilité absolue aux informations confidentielles, mais il est nécessaire que cette accessibilité ne soit pas facilement surmontable, par exemple, par le biais de site internet où peuvent être trouvées des informations générales, étant notamment demandé aux titulaires des informations confidentielles et des secrets des affaires, d’effectuer un effort supérieur pour garder confidentiel leur savoir-faire. En ce sens, s’est exprimé, par exemple,  le Tribunal de Turin, Section Spécialisée d’Entreprise le 15.11.2018, n. 5246.
Dans ce contexte, une décision récente de la Cour de Cassation Criminelle Italienne, dans sa section 5ème du 11 février 2020, n. 1675, a souligné la valeur économique du savoir-faire des entreprises, qui doit être protégée pour préserver la position stratégique d’une entreprise sur le marché de référence. 


(iv) Le contrat de confidentialité
Le contrat de confidentialité est un instrument important pour la protection des secrets d’affaires, notamment, pour les entreprises innovantes, qui sont souvent exposées à des pratiques malhonnêtes, comme l’appropriation illicite de secrets d’affaires, les vols de copies non-autorisées et l’espionnage économique.

Les accords de confidentialité doivent être bien construits afin d’être opposables en justice.

Avant tout, il faut identifier avec certitude l’objet et le but de l’utilisation des informations confidentielles. Notamment, une définition générique des informations confidentielles peut déterminer l’invalidité de l’accord et l’impossibilité de le faire valoir, avec succès, devant une contestation.

En outre, il faut bien identifier la durée de l’accord, qui normalement peut être de 3 à 5 ans, selon le domaine de référence, mais l’on peut prévoir une durée supérieure pour la clause de confidentialité.

En effet, même si l’accord est terminé, l’obligation de garder le secret des affaires peut être maintenue pour une période plus longue, qui normalement correspond à la durée de la vie des informations confidentielles et à leur valeur économique.

En outre, il est conseillé d’introduire, dans les accords de confidentialité purs, comme dans les accords de travail, une clause de non-concurrence prévoyant aussi des astreintes, en cas de non-respect des clauses de confidentialité ou de révélation abusive de secrets d’affaires.

La clause de non-concurrence et/ou de confidentialité, dans le cadre d’un contrat de travail et dans un accord de confidentialité, devrait avoir une durée postérieure à la cessation du contrat de travail. En particulier, aux termes de l’article 2125 du Code Civil, la clause de non-concurrence doit être stipulée par écrit avec la prévision d’une rémunération pour le salarié, qui la signe et une durée maximum de 5 ans après l’expiration du contrat.

Enfin, une attention particulière doit être portée à l’identification de la loi applicable aux contrats, la juridiction et le tribunal compétent à saisir, en cas de non-accomplissement des obligations prévues.

Il est donc primordial de déterminer une véritable stratégie contractuelle pour les accords de confidentialité, qui doivent être conclus avec les partenaires des activités de recherche et développement d’une entreprise, mais également avec tous les fournisseurs/sous-traitants et, notamment, à l’intérieur des contrats de fourniture et de sous-traitance, afin de protéger le savoir-faire et les créations des entreprises textile, de toute usurpation, vol et divulgation illicite des éléments confidentiels préservant ainsi la valeur économique de ces données.

Par exemple, dans les accords de collaboration entre l’entreprise, ses fournisseurs et ses sous-traitants, pour définir la propriété du travail qui en résulte, le brevet, les créations ultérieures et les droits de propriété industrielle et intellectuelle, il est fondamental que les parties signent un accord de confidentialité, identifiant toutes les informations de nature sensible et confidentielle qui seront y contemplées.
Ainsi, l’accord de confidentialité permet de préserver le savoir-faire de l’entreprise de toute possible divulgation aux entreprises concurrentes, non-seulement par les salariés de l’entreprise, mais aussi par tout sous-traitant, fournisseur ou partenaire commercial.

Le contrat de confidentialité doit aussi identifier les moyens par lesquels cette confidentialité est rendue possible, règlementant les conséquences, en cas d’amélioration et/ou de développement autonome du savoir-faire par la partie qui signe le contrat et, notamment, par le partenaire commercial.

Il est important que ce contrat soit signé avant de communiquer les informations confidentielles, les données, le savoir-faire aux partenaires commerciaux ou aux sous-traitants.

La plus grande difficulté pratique pour faire valoir un contrat de confidentialité ou les informations confidentielles y figurant, consiste à prévoir de bien protéger ces informations et de les avoir identifiées de manière correcte et concrète dans le contrat. Par conséquent, il est fondamental de correctement identifier et déterminer la portée du savoir-faire que l’on veut protéger et les relatives informations confidentielles (voir, par exemple, à ce propos, Cour d’Appel de Turin, décision du 28 juillet 2017).

En ce qui concerne, par exemple, les secrets commerciaux et industriels, même les listes de clients peuvent être protégées et considérées confidentielles, lorsqu’il s’agit d’informations qualifiées, c’est-à-dire lorsqu’elles sont accompagnées par des informations sensibles ; autrement dit, par exemple, le simple nom du client n’est pas considéré comme information confidentielle, car il peut être repéré par tous. Par contre, les indications des préférences du client et certaines données plus particulières relatives au goût du client, sont à retenir sensibles et confidentielles, comme l’a confirmé le Tribunal de Bologna par sa décision du 4 juillet 2017.

Un autre exemple de secret commercial, jugé protégeable, concerne une technique particulière de marketing, visée à effectuer un lancement à succès de nouveaux produits, en étudiant les dernières tendances et les préférences des consommateurs. C’est ce qu’a fait, par exemple, Zara1


(v) Conclusion
Au final, l'on peut donc conclure que la correcte identification et protection des informations confidentielles, ainsi que du savoir-faire stratégique, technique, commercial et promotionnel d’une entreprise, sont primordiales pour préserver le savoir-faire et la réputation commerciale de l’entreprise titulaire sur le marché de référence, vis-à-vis de ses partenaires et sous-traitants, par les secrets d'affaires. Véritables titres de propriété industrielle et intellectuelle, elles sont susceptibles d’être protégées et d’accroitre la valeur économique de l’entreprise et de son achalandage, à travers leur correcte surveillance et protection continue.
                                                                                
Paola Gelato
Avocat au Barreau de Turin 
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
Associée du cabinet Studio Legale Jacobacci & Associati


(1) voir https://www.wipo.int/wipo_magazine/en/2005/03/article_0009.html et https://www.tradegecko.com/blog/supply-chain-management/zara-supply-chain-its-secret-to-retail-success

En poursuivant votre navigation sans modifier vos paramètres, vous acceptez l'utilisation des cookies.

Continuer En savoir plus